samedi 9 mars 2024

Mémoires d'un chasseur (Ivan Tourguéniev)

 Les 25 récits remis dans l'ordre de l'édition définitive russe :



https://blogs.mediapart.fr/m-tessier/blog/090324/memoires-dun-chasseur-ivan-tourgueniev




La steppe et la forêt (Ivan Tourguéniev)

                                                     



                             … Et peu à peu, il lui tarda de revoir

                             Le village, le jardin sombre

                             Avec les grands tilleuls et leur ombre,

                             Avec le muguet au parfum si virginal,

                             Où les saules ronds au-dessus de l’onde

                             Depuis la digue s’inclinent en rang,

                             Où, au-dessus du champ gras, pousse le chêne luxuriant,

                             Où cela sent le chanvre et l’ortie…

                             Là-bas, là-bas, dans la libre prairie,

                             Où la terre comme du velours noircit,

                             Où le seigle, à perte de vue,

                             S’écoule en vagues douces

                             Sur lesquelles tombe le lourd rayon jaune

                             Perçant les ronds blancs, transparents, des nuages.

                             On y est bien… 


                                                          (D’un poème livré aux flammes2)



     Mes mémoires commencent peut-être à lasser le lecteur ; je m’empresse de le rassurer en promettant de m’en tenir aux fragments déjà imprimés ; mais je ne puis le quitter sans dire quelques mots à propos de la chasse.

     La chasse au fusil, avec l’aide d’un chien, est une belle chose en elle-même, für sich3, comme on disait autrefois ; mais, admettons que vous ne soyez pas un chasseur-né : vous aimez cependant la nature ; du coup, vous ne pouvez pas ne pas nous envier, nous autres chasseurs… Écoutez plutôt.


     Savez-vous, par exemple, quel délice c’est de partir à l’aube au printemps ? Vous sortez sur le perron… quelques étoiles scintillent encore çà et là dans le ciel d’un gris sombre ; on entend le murmure contenu et incertain de la nuit ; les arbres bruissent doucement, noyés d’ombre. Voilà qu’on étend un tapis dans la télègue, on place à vos pieds une caisse contenant un samovar. Les bricoliers5 ont froid, ils se pelotonnent, s’ébrouent et piaffent comme des gandins ; un couple d’oies blanches, à peine réveillées, traversent la route en silence et sans hâte. Derrière la haie, le gardien6 ronfle paisiblement ; chaque son vibre dans l’air figé, sans s’éloigner. Vous voilà assis ; les chevaux s’ébranlent tous en même temps, la télègue fait entendre un fort cliquetis – et vous voilà en route : vous passez devant l’église, vous descendez la côte sur la droite, vous franchissez la digue… Une légère vapeur commence à peine à monter de l’étang. Il fait un peu froid, vous rabattez le col de votre manteau sur votre visage et vous vous mettez à somnoler. Les chevaux pataugent dans les flaques d’eau, le cocher sifflote. Vous avez déjà fait trois ou quatre verstes7… Le ciel rougit vivement, à l’horizon ; dans les bouleaux, les choucas se réveillent et volètent maladroitement d’un arbre à l’autre ; les moineaux gazouillent auprès des meules sombres. L’air s’éclaircit, la route est plus visible, le ciel plus clair, les nuages plus blancs, les champs plus verts. Dans les izbas, les copeaux brûlent en donnant une lumière rouge, des voix ensommeillées se font entendre derrière les portes. Cependant, l’aube s’enflamme ; des bandes dorées s’étirent déjà dans le ciel, des volutes de vapeur tournoient dans les ravins ; les alouettes chantent avec force, le vent de l’aube se lève et le soleil émerge lentement, tout empourpré. Un torrent de lumière jaillit ; votre cœur palpite comme un oiseau. Quelle fraîcheur, quelle gaieté, quel bonheur ! Le regard porte loin, aux alentours. Là-bas, voici un village, derrière un bosquet ; plus loin encore, un autre avec son église blanche, un petit bois de bouleaux sur un mamelon ; derrière, s’étend le marais où vous vous rendez… Allez, les chevaux, plus vite ! En avant, d’un bon trot ! Plus que trois verstes. Le soleil s’élève rapidement dans le ciel pur… il va faire un temps magnifique. Sorti du village, un troupeau s’avance à votre rencontre. Vous gravissez une côte… Ah, quelle vue ! La rivière serpente sur une dizaine de verstes, montrant le bleu terne de ses méandres à travers le brouillard ; au-delà, verdoient des prairies inondées, puis ce sont des collines en pente douce ; au loin, des vanneaux tournoient en criant au-dessus du marais ; le lointain se montre avec netteté, à travers l’éclat humide saturant l’air. Comme on respire librement, comme les membres sont alertes, comme s’affermit tout entier l’homme saisi par le souffle frais du printemps !


     Et en été, une matinée de juillet ! Qui, en dehors des chasseurs, a connu le plaisir d’errer à l’aube dans les broussailles ? La trace de vos pas fait une piste verte dans l’herbe blanchie par la rosée. Vous écartez un buisson humide, et vous recevez une bouffée de senteur tiède, emprisonnée pendant la nuit ; l’air s’enivre de la fraîche amertume de l’absinthe, du parfum mielleux du trèfle et du sarrasin ; au loin se dresse la muraille d’une chênaie, qui brille au soleil d’une lueur rouge ; l’air est encore frais, mais on sent déjà se rapprocher la fournaise. On éprouve un vertige de langueur en raison de l’abondance des odeurs. Les broussailles s’étendent à perte de vue… C’est à peine si l’on perçoit quelque part, au loin, la tache jaune du seigle mûr et les lignes rouges du sarrasin. Un grincement de télègue : c’est un moujik qui avance au pas, il se hâte de mettre à l’ombre son cheval… Vous échangez des salutations et vous éloignez – le bruit d’une faux retentit dans votre dos. Le soleil est de plus en plus haut. L’herbe sèche vite. Il fait déjà très chaud; Une heure s’écoule, une autre… Le ciel s’assombrit à l’horizon ; la chaleur ardente calcine l’air immobile.

     — Dis, mon ami, où trouve-t-on à boire, ici ? demandez-vous à un faucheur.

     — Là-bas, dans le ravin, il y a une source.

    Vous descendez au fond du ravin à travers d’épais taillis de noisetiers emmêlés d’herbes accrocheuses. C’est exact : sous l’escarpement se cache une source ; une cépée de chênes incline avidement ses branches au-dessus de l’eau, comme autant de doigts ; de grosses bulles argentées montent en oscillant du fond tapissé du velours d’une légère mousse. Vous vous jetez par terre et buvez tout votre saoul, après quoi vous n’avez plus envie de bouger. Vous êtes à l’ombre et respirez une humidité qui embaume, en face de vous les buissons sont brûlants et jaunissent à vue sous le soleil. Mais que voilà ? Le vent s’est soudain levé et renforcé ; l’air a tremblé : serait-ce déjà le tonnerre ? Vous sortez du ravin… qu’est-ce donc que cette bande plombée à l’horizon ? La chaleur deviendrait-elle plus intense ? Ou est-ce un nuage qui se déplace ?… Mais voilà un faible éclair… Eh oui, c’est un orage ! Autour de vous, le soleil brille encore d’un vif éclat : on peut encore chasser. Mais la nuée grossit : l’avant du nuage s’étire comme une manche, se courbe en forme de voûte ; L’herbe, les broussailles, tout s’est brusquement obscurci… Vite ! Là-bas, on dirait une grange… vite ! Vous arrivez au pas de course, vous entrez… Vous parlez d’une pluie ! Et ces éclairs ! Çà et là, par des interstices du toit de chaume, l’eau coule sur le foin odorant… Mais revoilà le soleil. L’orage est passé ; vous sortez. Mon Dieu, quelle gaie lumière tout autour, quel air frais et léger, quelle odeur de fraises des bois et de champignons !


     Mais voici que le soir arrive. Le crépuscule s’est emparé de la moitié du ciel, qu’il incendie. Le soleil se couche. L’air tout proche est d’une transparence remarquable, comme celle d’une vitre ; dans le lointain s’étale une vapeur légère, qui semble chaude ; en même temps que la rosée, une lueur rouge tombe sur les prés encore récemment inondés de jets d’or liquide ; les arbres, les buissons, les hautes meules de foin projettent de longues ombres… Le soleil s’est couché ; une étoile s’est allumée et tremblote au cœur de la mer de flammes du couchant… Celle-ci pâlit, le ciel bleuit ; les ombres individuelles disparaissent, l’air se remplit d’obscurité. Il est temps de rentrer chez soi, au village, dans l’izba où vous allez passer la nuit. Le fusil en bandoulière, vous allez d’un bon pas, malgré la fatigue… Cependant, c’est déjà la nuit ; on ne voit plus rien à vingt pas ; c’est à peine si l’on distingue la blancheur des chiens dans les ténèbres; Là-bas, un coin de ciel s’éclaircit vaguement au-dessus des broussailles… Qu’est-ce donc ? Un incendie ?… Non, c’est la lune qui se lève. Et en bas, sur la droite, voici déjà les lueurs du village qui tremblotent… Voilà enfin votre izba. Par la petite fenêtre, vous voyez la table couverte d’une nappe blanche, la chandelle qui brûle, le souper…


     On peut aussi faire atteler un drojki8 léger et partir en forêt chasser la gélinotte. C’est un plaisir de se faufiler, le long d’un étroit sentier, entre deux hautes murailles de seigle. Les épis vous cinglent doucement la figure, les bleuets s’accrochent à vos jambes, les cailles crient aux alentours, le cheval avance d’un trot nonchalant. Voilà la forêt. Ombre et silence. Des trembles de belle taille bruissent très au-dessus de vous ; les longues branches pendantes des bouleaux remuent à peine ; un puissant chêne se tient, tel un guerrier, auprès d’un beau tilleul. Vous suivez une sente verte, émaillée d’ombres ; de grosses mouches jaunes sont comme suspendues dans l’air doré, avant de s’enfuir soudain ; des colonnes de moucherons tourbillonnent, plus claires à l’ombre et plus sombres au soleil : les oiseaux chantent paisiblement. La petite voix d’or de la fauvette résonne, exprimant une joie innocente et bavarde : elle va bien avec le parfum du muguet. Allons plus loin, enfonçons-nous dans la forêt… La voilà qui devient plus sauvage… une paix inexprimable vous envahit l’âme ; tout se tait, tout sommeille. Mais voilà un coup de vent, les cimes se mettent à bruire, comme des vagues qui retombent. À travers les feuilles tombées et brunies de l’an dernier poussent çà et là de hautes herbes ; les champignons font bande à part, chacun sous son chapeau. Un lièvre blanc détale brusquement, le chien se rue à ses trousses en aboyant…


     Et qu’elle est agréable à la fin de l’automne, cette même forêt, lorsqu’arrivent les bécasses ! Elles ne se tiennent jamais au fin fond de la forêt : il faut toujours les chercher en lisière. Il n’y a là ni vent ni soleil, ni lumière ni ombre, ni bruit ni mouvement ; dans la douceur de l’air se diffuse l’odeur de l’automne, pareille à celle du vin9 ; un léger brouillard flotte au loin au-dessus des champs jaunes. Le ciel montre tranquillement sa blancheur immobile à travers les branches brunes et dénudées des arbres ; ici et là, sur les tilleuls, pendent les dernières feuilles dorées. Sous les pieds, la terre humide est élastique, les brins d’herbe, hauts et secs, ne remuent pas ; de longs fils brillent sur cette herbe décolorée. On respire sans effort, mais on a l’âme étreinte d’une étrange angoisse. On suit la lisière en épiant son chien, mais on repense à de chères images, à des visages chéris, ceux  des vivants comme ceux des morts, et de vieilles impressions, endormies depuis des siècles, sortent soudain de leur sommeil ; l’imagination plane et vole comme un oiseau, elle se meut avec netteté et vous en avez plein les yeux. Votre cœur tantôt frissonne et bat dans un élan passionné, tantôt se noie sans retour dans ses souvenirs. Votre vie entière défile sous vos yeux, tel un rouleau rapidement déployé ; l’homme est maître de la totalité de son passé, de tous ses sentiments, de toutes ses forces et de son âme entière. Rien de ce qui l’entoure ne peut y faire obstacle : il n’y a plus ni soleil, ni vent, ni bruit…


     Et par un jour d’automne clair et un peu froid, après la gelée du matin, quand le bouleau tout doré, tel un arbre féérique, se dessine joliment sur le ciel d’un bleu pâle, quand le soleil est bas sur l’horizon et ne chauffe plus mais brille plus nettement que l’été – et le bosquet de trembles est illuminé de part en part, comme s’il avait plaisir à rester tout nu, le givre blanchit encore le fond de la vallée, et un vent frais pousse sans hâte plus loin les feuilles tombées et racornies –, quand sur la rivière s’agitent gaiement les vagues bleues, soulevant en cadence les oies et les canards dispersés, cependant qu’au loin, à demi caché par des saules et survolé par des pigeons dont le rapide tournoiement diapre l’air lumineux, un moulin fait entendre le bruit de sa roue…


     Même si les chasseurs ne les aiment guère, les jours brumeux pendant l’été, sont également plaisants. Par de telles journées, tirer le gibier10 est impossible : l’oiseau qui vient de se lever sous vos pieds disparaît aussitôt dans les ténèbres blanches du brouillard stagnant.  Mais comme tout est paisible aux alentours, quel calme indicible ! Tout s’est réveillé, et tout se tait. Vous passez à côté d’un arbre : immobile, il se prélasse. À travers la fine vapeur comme déversée dans l’air, voici qu’une longue bande noire s’étire devant vous. Vous la prenez pour une forêt proche ; vous vous rapprochez encore : la forêt se transforme en une haute rangée d’absinthes séparant deux champs. Au-dessus de vous, et tout autour, partout le brouillard… Mais voici que le vent se lève un peu : un bout de ciel d’un bleu pâle s’avance vaguement, perçant la vapeur qui s’atténue, devient fuligineuse ; un rayon jaune d’or fait irruption, s’écoule en un long torrent qui vient battre les champs, buter contre un bosquet, et puis le voile retombe sur toutes choses. Cette lutte se poursuit longuement ; mais comme cette journée devient d’une pureté et d’une splendeur indicibles, lorsque la lumière triomphe enfin et que les dernières vagues de la brume réchauffée tantôt roulent et s’étendent en nappes, tantôt s’élèvent et disparaissent dans l’abîme des hauteurs doucement radieuses…


     Mais voilà qu’avec un groupe de chasseurs, vous vous lancez dans une partie de chasse au loin, dans la steppe. Vous avez parcouru une dizaine de verstes sur des chemins de traverse, voici enfin la grand-route. Vous dépassez d’interminables convois, vous passez devant des auberges sous l’auvent desquelles le samovar siffle, et dont le portail grand ouvert laisse voir le puits dans la cour, vous allez d’un bourg à l’autre en traversant des champs immenses, en longeant de vertes chènevières, vous allez toujours plus loin. Des pies volent d’un saule à l’autre ; des paysannes, un long râteau à la main, se traînent dans les champs ; un passant au caftan de nankin11 râpé, une besace à l’épaule, marche d’un pas fatigué ; la lourde voiture d’un hobereau, tirée par un attelage de six grands chevaux fourbus, vient à votre rencontre. Le coin d’un coussin dépasse d’une fenêtre, et, à l’arrière du véhicule, assis de biais sur un sac, un laquais ayant de la boue jusqu’aux sourcils se cramponne à une corde12. Voilà le chef-lieu du district avec ses maisonnettes en bois, toutes de guingois, des palissades à n’en plus finir, un pont antique au-dessus d’un profond ravin… Plus loin, plus loin !…C’est presque la steppe.  Du haut d’une colline, quel paysage ! Des mamelons ronds et bas, labourés et ensemencés jusqu’en haut, largement dispersés en vagues successives ; des ravins envahis de broussailles, serpentant entre deux buttes ; de petits bosquets disséminés çà et là en autant d’îles oblongues ; des sentiers étroits courant d’un village à l’autre ; la blancheur des églises ; une rivière miroitant entre des buissons d’osier, arrêtée par quatre digues ; au loin, dans un champ, des outardes en file indienne ; une vieille maison de maître avec ses dépendances, son verger, son aire et sa grange, blottie contre un petit étang. Mais vous allez plus loin, toujours plus loin. Les collines s’abaissent de plus en plus, on ne voit presque plus d’arbres. La voilà enfin, la steppe immense, la steppe infinie !


     Et, un jour d’hiver13, chasser le lièvre au milieu des hautes congères, respirer l’air vif et gelé, plisser involontairement l’œil en raison du petit scintillement aveuglant de la neige molle, admirer la teinte verte du ciel au-dessus de la forêt rougeâtre !… Et, les premiers jours de printemps, lorsqu’aux alentours tout brille et s’affaisse, à travers la lourde vapeur de la neige fondue, on sent déjà, aux endroits où la neige a fini de fondre, l’odeur de la terre réchauffée, et, sous les rayons obliques du soleil, les alouettes chantent avec confiance, tandis que, de ravin en ravin, les torrents tourbillonnent en rugissant joyeusement…


     Il est temps, cependant, de conclure. J’ai parlé du printemps à point nommé : les séparations sont douces, au printemps, les gens heureux ressentent l’appel des lointains… Adieu, lecteur ; je vous souhaite un bonheur éternel.  

     




Notes


  1. Composé en 1848 et paru en 1849 dans la revue Le Contemporain, ce texte était l’épilogue du premier cycle de douze récits – intitulé Mémoires d’un chasseur –, rédigés en 1847 et 1848. L’auteur en avait écrit d’autres, publiés ou non, et il en rajouta tardivement quelques autres, en même temps qu’il écartait d’autres textes encore. En tout, à nouveau douze récits. L’édition définitive comporte donc vingt-cinq textes, en incluant cet épilogue qui se termine par une adresse au lecteur, interpellé plus d’une fois dans les divers récits. 
  2. Cette épigraphe est de Tourguéniev lui-même. Dans le titre, j’ai inversé l’ordre des deux temes « steppe » et « forêt », pour obtenir une meilleure assonance. J’avais opéré la même transposition dans le titre du premier récit, « Kalinytch et le Putois ».
  3. En allemand dans le texte. Souvenir de Hegel, étudié à Berlin par le jeune Tourguéniev.
  4. Voiture hippomobile à quatre roues, plutôt simple. Celle du narrateur est souvent tirée par un attelage de trois chevaux, une troïka.
  5. Chevaux de renfort, encore dits « de volée ». Le cheval principal de l’attelage est le limonier.
  6. Gardien de nuit : il surveille les vergers, notamment, et frappe l’heure, la nuit, sur sa planchette de bois. Tchékhov l’évoque souvent.
  7. Rappel : la verste faisait un peu moins de 1,1 km.
  8. https://fr.wiktionary.org/wiki/drojki
  9. Henri Mongault signale que le « goût vineux de l’automne », selon Tourguéniev, se trouve mentionné, à la date du 4 mai 1876, dans le Journal des frères Goncourt.
  10. Le narrateur, à quelques lièvres près, chasse exclusivement le gibier à plumes.
  11. https://fr.wikipedia.org/wiki/Nankin_(tissu)
  12. On retrouve ici un passage « à la Gogol ».
  13. Comme H. Mongault le fait remarquer, ces quelques lignes sur l’hiver, c’est bien peu. Tourguéniev ne semble pas goûter cette saison, pas plus que la chasse au lièvre…

lundi 4 mars 2024

Un bruit de roues ! (Ivan Tourguéniev)

     — Je vous annonce1, dit Iermolaï2 en entrant pour me voir dans l’izba – je venais de déjeuner et m’étais étendu sur une couchette froide pour me reposer un peu après une chasse au coq de bruyère plutôt fructueuse mais éreintante : nous étions autour du dix juillet, et la chaleur était infernale –, je vous annonce que nous n’avons plus de plombs.

     Je sautai à bas du lit.

     — Plus de plombs ?! Comment est-ce possible ?! Nous en avions tout de même emporté avec nous dans les trente livres3 ! Un plein sac !  

     — C’est exact ; un grand sac : assez pour deux semaines. Allez savoir ce qui s’est passé ! Le sac s’est peut-être déchiré – bref, nous n’avons plus de plombs… à peine pour une dizaine de cartouches.

     — Qu’allons-nous faire ? Nous ne sommes pas encore allés dans les meilleurs coins, et on nous a promis six couvées pour demain…

     — Envoyez-moi donc à Toula4. Ce n’est pas très loin d’ici : quarante-cinq verstes5 en tout et pour tout. J’y vole et, si vous voulez, j’en ramène un poud6 entier.

     — Quand partirais-tu ?

     — Mais tout de suite. À quoi bon lambiner ? Seulement, il faudra louer des chevaux.

     — Comment ça, louer des chevaux ? Et les nôtres ?

     — Pas possible d’y aller avec les nôtres. Le limonier7 boite affreusement.

     — Depuis quand ?

     — Pas longtemps. Le cocher l’a mené ferrer. On l’a ferré. Le maréchal a l’air d’être un âne. À présent, le cheval ne peut même plus poser le pied. La jambe avant. Il la lève… comme un chien.

     — Et alors ? On l’a déferré, au moins ?

     — Non ; il faut absolument le faire. Un clou doit être rentré dans la chair.

     Je fis venir le cocher. Il s’avéra que Iermolaï n’avait pas raconté d’histoires : le limonier ne pouvait bel et bien pas poser la jambe. J’ordonnai aussitôt de lui enlever le fer et de lui mettre le pied dans de l’argile humide.

     — Eh bien ? Dois-je louer des chevaux pour aller à Toula ? me pressa Iermolaï.

     — Mais où trouver des chevaux dans un trou pareil ? m’exclamai-je, contrarié malgré moi…

     Le village où nous nous trouvions était un coin complètement perdu8, dont tous les habitants avaient l’air de mendiants ; nous avions eu du mal à y dénicher une izba, sinon claire9, du moins un peu spacieuse.

     — On peut en trouver, répondit Iermolaï, imperturbable à son habitude. Vous avez raison, en ce qui concerne le village ; pourtant, c’est ici que vivait un paysan très intelligent, et riche ! Il possédait neuf chevaux. Lui-même est mort, mais son fils aîné est à présent à la tête de tout. C’est une bûche complète, mais il n’a pas encore eu le temps de dilapider tout le bien de son père. Nous trouverons des chevaux chez lui. Si vous voulez, je vous l’amène. J’ai entendu dire que ses frères étaient des gars débrouillards… mais c’est quand même lui qui commande.

     — Pourquoi donc ?

     — Mais parce que c’est l’aîné ! Les plus jeunes n’ont qu’à obéir !

     Iermolaï sortit à ce moment quelque chose d’énergique, mais de trop rude10 pour être rapporté ici, à propos des cadets en général.

     — Je vais l’amener, reprit-il. C’est un simplet, il sera facile de trouver un accord avec lui.

     Pendant que Iermolaï allait chercher le « simplet », je commençai à me demander si je ne ferais pas mieux de me rendre moi-même à Toula. Tout d’abord, instruit par l’expérience, je ne me fiais pas trop à Iermolaï ; je l’avais un jour envoyé en ville faire des courses, il avait promis de s’acquitter de cette mission en une journée, et il avait disparu toute une semaine, revenant à pied – alors qu’il était parti en drojki léger – après avoir bu tout l’argent. Ensuite, je connaissais un maquignon, à Toula : je pouvais lui acheter un cheval pour remplacer le limonier qui boitait. 

     « C’est décidé ! me dis-je ; j’irai moi-même. Je pourrai dormir en chemin, vu qu’en tarantass12, on n’est pas trop secoué. »


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     — Il est là ! s’exclama Iermolaï un quart d’heure après en faisant irruption dans l’izba. À sa suite entra un moujik de haute taille portant une chemise blanche, un pantalon bleu et des lapti13 ; il avait les cheveux, les sourcils et les cils d’un blond très clair, des yeux de taupe, une barbiche rousse en pointe, un long nez charnu et la bouche grande ouverte. Il avait bien l’air d’un « simplet ».

     — Si vous permettez, dit Iermolaï, il a bien des chevaux, et il est d’accord.

     — C’est-à-dire, voyez-vous, je… fit le moujik d’une voix un peu enrouée et en trébuchant sur les mots, tout en secouant sa chevelure clairsemée et en triturant le bandeau de sa chapka, qu’il tenait dans ses mains. — Je, voyez-vous…

     — Comment t’appelles-tu ? demandai-je.

     Le moujik baissa les yeux comme s’il réfléchissait.

     — Comment que je m’appelle ?

     — Oui ; quel est ton nom ?

     — Eh ben, mon nom, c’est Filofeï14. 

     — Bon, écoute, Filofeï, mon ami, j’ai entendu dire que tu avais des chevaux. Amène ici une troïka15, nous attèlerons les chevaux à mon tarantass – il est assez léger –, et tu me conduiras à Toula. Avec le clair de lune que nous avons, on y voit bien, et il fait frais, on roulera bien. Comment est la route, ici ?

     — La route ? Oh, la route, ça va. Jusqu’à la grand-route, ça fait une vingtaine de verstes. Seulement, y a un coin… un peu mauvais ; le reste, ça peut aller.

     — Qu’est-ce que c’est, ton coin un peu mauvais ?

     — Une p’tite rivière qu’y faut passer à gué.

     — Mais vous allez donc à Toula vous-même ? s’informa Iermolaï.

     — Oui, moi-même. 

     — Eh bien ! déclara mon fidèle serviteur, qui hocha la tête. Eh bien ! dit-il encore une fois, avant de cracher par terre et de sortir.

     L’expédition à Toula, visiblement, ne présentait plus pour lui le moindre intérêt ; cela lui semblait une affaire futile et insignifiante.

     — Tu connais bien la route ? dis-je en m’adressant à Filofeï.

     — Pour ça, oui ! Comment ça se pourrait, autrement ? Seulement, voyez-vous, comme vous voudrez, je ne peux pas… parce que, comme ça, d’un coup…

     Ce qui se passait, c’était que Iermolaï lui avait juste annoncé, pour le décider : « On te paiera, imbécile ! » Tout bêta qu’il fût, selon les dires de Iermolaï, cette annonce ne satisfaisait pas Filofeï. Il me demanda cinquante roubles-assignats – un prix énorme ; je lui proposai dix roubles – un prix un peu bas. Nous nous mîmes à marchander ; Filofeï s’entêta dans un premier temps, puis commença à fléchir, mais lentement et difficilement. Entré un instant, Iermolaï m’assura que « cet imbécile » (voyez-moi ce que le mot lui plaît ! observa Filofeï à mi-voix), « cet imbécile ignorait tout de la valeur de l’argent », et me rappela à ce propos une histoire vieille d’une vingtaine d’années : une auberge que ma mère avait fait construire à un endroit très passant, au carrefour de deux grandes routes, avait complètement périclité du fait que le vieux domestique qu’on y avait installé comme gérant ne connaissait vraiment pas la valeur de l’argent, ce qui comptait, pour lui, c’était la quantité : il donnait par exemple un quart de rouble en argent contre six pièces de cinq kopecks en cuivre16, le tout, d’ailleurs, avec force jurons. 

     — Ah, Filofeï, tu es un vrai Filofeï17 ! s’écria enfin Iermolaï qui, en colère, sortit en claquant la porte.

     Filofeï ne répliqua rien, comme s’il avait conscience qu’il était embarrassant de s’appeler Filofeï et pouvait même lui valoir des reproches, bien que le vrai coupable fût le pope, le jour de son baptême : on n’avait pas dû le remercier18 suffisamment.

     Nous nous entendîmes finalement sur vingt roubles. Il partit chercher les chevaux, et, une heure plus tard, en ramena cinq pour que je choisisse. Les chevaux étaient convenables, bien que leurs crinières et leurs queues fussent emmêlées, et leurs ventres gros et relâchés comme des tambours à la peau distendue. Deux de ses frères étaient venus avec Filofeï : ils ne lui ressemblaient pas du tout. Petits, les yeux noirs, le nez pointu, ils faisaient en effet l’impression d’être des gars « débrouillards », ils parlaient beaucoup et rapidement – ils « babillaient », selon l’expression de Iermolaï –, mais ils obéissaient à leur aîné.

     Ils firent rouler le tarantass sous l’auvent et pendant une heure et demie s’affairèrent pour y atteler les chevaux ; tantôt ils desserraient les traits de corde, tantôt ils les attachaient trop serré ! Les deux frères voulaient absolument atteler comme limonier le Grivelé, parce qu’il avait « le pied sûr pour descendre les côtes », mais Filofeï décida que ce serait l’Ebouriffé ! Alors ils placèrent l’Ebouriffé dans les brancards.

     On bourra de foin le tarantass, on fourra sous le siège le collier de mon bricolier boiteux, pour le cas où il y aurait à le passer au cheval nouvellement acheté à Toula… Filofeï, qui avait trouvé le temps de filer chez lui et d’en revenir vêtu d’un long surtout blanc ayant appartenu à son père, ayant sur la tête un haut « gâteau de sarrasin19 » et aux pieds des bottes goudronnées, s’installa solennellement sur le siège du cocher. Je m'assis en regardant ma montre : il était dix heures et quart. Iermolaï ne me dit même pas au revoir, il se mit à battre son chien Valetka ; Filofeï tira un peu sur les rênes en criant d’une voix grêle : « Ah, vous, mes petits ! » Ses frères bondirent de chaque côté, cinglèrent sous le ventre les bricoliers20, et le tarantass s’ébranla, franchit le portail et tourna dans la rue ; l’Ebouriffé serait bien revenu dans la cour, mais Filofeï lui fit entendre raison avec quelques coups de fouet – et voilà que nous sortions déjà du village et roulions sur une route assez unie, bordée d’épais buissons de noisetiers.

     La nuit était paisible, magnifique, très propice aux voyages. Le vent, tantôt murmurait dans les buissons, agitant un peu les branches, tantôt tombait complètement ; dans le ciel se voyaient des nuages argentés, immobiles ; la lune était haute, elle éclairait nettement les alentours. Allongé dans le foin, je m’assoupissais déjà… mais je repensai soudain au « mauvais coin » et me secouai.

     — Alors Filofeï, ça fait loin, d’ici jusqu’au gué ?

     — Jusqu’au gué ? Ça fait huit verstes. 

     « Huit verstes, me dis-je. Nous n’y serons pas avant une heure. J’ai le temps de dormir. »

     — Tu connais bien le chemin, Filofeï ? demandai-je encore.

     — Ben oui, comment ça se pourrait, autrement ? C’est pas la première fois…

     Il ajouta quelque chose que je n’entendis pas : je dormais.


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     Ce ne fut pas, comme cela arrive souvent, ma propre intention de me réveiller une heure plus tard qui me tira de mon sommeil, mais un étrange, quoique faible, bruit de ventouse, accompagné d’un tout aussi étrange glouglou tout près de mon oreille. Je levais la tête… 

     Quel est ce prodige ? Je suis toujours couché dans le tarantass, mais tout autour de la voiture, et à une demi-archine21 tout au plus de ses bords, une nappe d’eau frissonne au clair de lune, montrant de petites rides bien nettes à sa surface. Je jette un coup d’œil vers l’avant : sur le siège du cocher se trouve Filofeï, tête baissée, voûté, figé comme une statue ; un peu plus loin, au-dessus de l’eau qui murmure, je vois la courbe de la douga22, ainsi que la tête des chevaux, et leur échine. Et tout cela est tellement immobile et silencieux, on se croirait dans un royaume enchanté, en plein songe, dans un rêve féérique… qu’est-ce que cela veut dire ? Je regarde vers l’arrière, au-delà de la barre23 du tarantass… Eh bien, nous sommes au milieu de la rivière… la berge est à une trentaine de pas !

     — Filofeï ! m’exclamai-je.

     — Quoi ? répliqua-t-il.

     — Comment, quoi ? De grâce ! Tu veux bien me dire où nous sommes ?

     — Dans la rivière.

     — Ça, je le vois, que nous sommes dans la rivière. Et nous allons même couler d’un moment à l’autre. C’est comme cela que tu traverses à gué ? Hein ? Mais tu dors, Filofeï ! Enfin, dis quelque chose !

     — Je me suis trompé un brin, déclara mon cocher : j’ai sans doute pris trop sur le côté, maintenant, voyez-vous, ben, faut attendre.

     — Comment ça, faut attendre ?! Qu’est-ce que nous allons donc attendre ?

     — Faut laisser l’Ebouriffé s’orienter : quand il fera mouvement, voyez-vous, faudra aller dans le même sens.

     Je me soulevai sur le foin.  La tête du limonier ne remuait pas, au-dessus de l’eau. On voyait seulement, au clair de lune, l’une de ses oreilles se balancer légèrement d’avant en arrière.

     — Mais il dort également, ton Ebouriffé !

     — Non, répondit Filofeï, il flaire l’eau, à c’te heure.

     Et le silence retomba, on entendait de nouveau le faible bruit de ventouse que faisait l’eau. Je commençais à m’engourdir, moi aussi.

     La clarté lunaire, la nuit, la rivière, et nous dans la rivière…

     — Qu’est-ce qui siffle comme ça ? demandai-je à Filofeï.

     — Ça ? Des jeunes canards dans les roseaux… ou alors des serpents.  

     La tête du limonier s’agita brusquement, ses oreilles se dressèrent, il s’ébroua et se mit à bouger.

     — A-a-a-llez ! hurla soudain à pleins poumons Filofeï, qui se souleva et agita son fouet. Le tarantass s’arracha et s’élança en avant, fendant les flots de la rivière, et avança, oscillant et cahotant… Je crus d’abord que nous nous enfoncions, que nous descendions plus profondément, mais après deux ou trois heurts et plongeons, la nappe d’eau parut baisser… Elle s’abaissa encore et encore, le tarantass en émergeait, les roues apparurent, ainsi que la queue des chevaux, et voilà que, faisant jaillir des gerbes d’éclats de diamant – ou plutôt de saphir – se dispersant dans la lumière terne du clair de lune, les chevaux nous tiraient avec un joyeux ensemble sur la berge sablonneuse, avant de monter la côte, en frappant à qui mieux mieux le sol de leurs sabots humides et lustrés.

     « Que va dire, à présent, Filofeï ? me demandai-je : “J’avais tout de même raison !”, ou quelque chose du même genre ? » Mais il ne dit rien. Du coup, je ne crus pas nécessaire de lui reprocher son imprudence, et, me recouchant sur le foin, je tentai de me rendormir.


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     Mais ce ne fut pas possible – pourtant, la chasse m’avait fatigué, et l’inquiétude récemment éprouvée n’avait pas chassé mon envie de dormir. Mais nous passions par des endroits de toute beauté. C’étaient, à perte de vue, de vastes prairies herbues et inondées, avec une multitude de mares, de petits lacs, de ruisseaux et de petits plans d’eau, envahis sur leurs bords par des saulaies et des oseraies : ces endroits typiquement russes, les lieux préférés du monde russe, ces coins où les preux des vieux chants épiques allaient chasser le cygne blanc et le canard gris24. La route carrossable serpentait comme un ruban jaunâtre, les chevaux trottaient avec légèreté et moi je ne pouvais fermer les yeux : j’admirais ! Tout cela défilait devant nous avec tant de douceur et de grâce, baigné de la lueur amicale de la lune, que Filofeï en fut également ému.

     — On les appelle les prés de Saint-Georges, me dit-il. et derrière, ce sont les prés des Grands-Princes ; on ne trouve pas leurs pareils dans toute la Russie… Ah, comme c’est beau ! 

     À ce moment, le limonier s’ébroua et se secoua.

     — Que le Seigneur soit avec toi !… dit posément et à mi-voix Filofeï. Comme c’est beau ! répéta-t-il avec un soupir, après quoi il toussota longuement. Les foins vont bientôt commencer, et ici, qu’est-ce qu’il va y en avoir ! Dans les plans d’eau, il y a aussi plein de poissons. Des brèmes d’une fameuse taille ! ajouta-t-il d’une voix traînante. C’est la bonne vie, quoi.

     Il leva soudain la main.

     — Hé ! Regardez voir ! au-dessus du lac… ce n’est pas un héron ? Il pêcherait aussi la nuit ? Hé non ! ce n’est pas un héron, c’est une branche, j’me suis trompé ! La faute à la lune…

     Nous roulions toujours… Les prairies finirent enfin, de petits bois firent leur apparition, ainsi que des champs labourés ; deux ou trois lueurs, sur le côté, signalèrent un petit village : il restait à peu près cinq verstes jusqu’à la grand-route. Je m’endormis.

     De nouveau, je ne me réveillai pas de moi-même. Ce fut cette fois le voix de Filofeï qui me tira de mon sommeil.

     Barine…eh, barine !

     Je me soulevai sur un coude. Le tarantass se tenait en terrain plat, au beau milieu de la grand-route ; se retournant vers moi sur son siège, les yeux grands ouverts (je fus même surpris, je ne lui voyais pas des yeux aussi grands), Filofeï chuchotait d’un air mystérieux, lourd de sens :

     — Un bruit de roues !… Un bruit de roues !

     — Que dis-tu ?

     — Je dis qu’il y a un bruit de roues. Penchez-vous et écoutez. Vous entendez ?

Je sortis la tête du tarantass, retins ma respiration… et j’entendis en effet, loin de nous, un faible bruit intermittent, comme un bruit de roues en marche.

     — Vous entendez ? répéta Filofeï.

     — Eh bien oui, répondis-je. C’est une voiture qui vient.

     — Mais vous n’entendez pas… Écoutez ! Voi… des grelots… un sifflement, aussi… Vous entendez ? Enlevez donc votre chapka, vous entendrez mieux.

     — Je n’ôtai pas ma chapka, mais tendis l’oreille. 

     — Bon, oui… peut-être. Et puis ?

     Filofeï se retourna vers les chevaux. 

     — Cette  télègue roule sans chargement, et ses roues sont ferrées, déclara-t-il en relevant les rênes. Barine, ce sont de mauvaises gens ; du côté de Toula, il y a pas mal de brigandage…

     — En voilà une bêtise ! Qu’est-ce qui te fait penser que ce sont nécessairement de mauvaises gens ?

     — Je dis la vérité. Des grelots… une télègue vide… À qui ça pourrait être ?

     — Sommes-nous encore loin de Toula ?

     — Une quinzaine de verstes, et il n’y a pas la moindre habitation, ici.

     — Eh bien, dépêche-toi, il n’y a pas de raison de traîner dans le coin.

     Filofeï agita son fouet, et le tarantass s’ébranla de nouveau.


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     Même si je ne croyais pas Filofeï, je ne pus me rendormir. Et si c’était vrai ? J’étais parcouru d’un sentiment désagréable. Je m’assis dans le tarantass – j’étais resté allongé jusqu’alors – et me mis à regarder sur les côtés. Pendant mon sommeil, un brouillard léger s’était levé, pas au-dessus de la terre, mais dans le ciel ; il restait en hauteur, la lune y était accrochée comme une tache blanchâtre entourée de fumée. Tout devenait trouble et confus, même si l’on y voyait plus clair en bas. Nous étions dans une zone triste et plate : des champs, encore des champs, ça et là des broussailles, des ravins – et de nouveau des champs, des guérets, surtout, avec de rares mauvaises herbes. C’était désert… mort ! Ah, seulement entendre le cri d’une caille !

     Nous roulions depuis une demi-heure. Filofeï ne faisait qu’agiter son fouet et clapper des lèvres, ni lui ni moi ne prononcions le moindre mot. Nous gravîmes une petite colline… Filofeï arrêta les chevaux et dit aussitôt :

     — Un bruit de roues… Y a un bruit de roues, barine !

     Je sortis de nouveau la tête hors du tarantass ; mais j’aurais pu rester sous l’auvent accroché à la barre, tant me parvenaient à présent avec netteté, même si c’était encore lointain, le bruit des roues d’une télègue, celui de sifflements de gens, le tintement de grelots, et même des piétinements de sabots ; je crus même entendre des rires et des chants. Le vent soufflait certes de là-bas, mais il n’était pas douteux que les voyageurs inconnus avaient gagné sur nous une verste, voire deux. 

     Nous nous regardâmes, Filofeï et moi : il ramena son chapeau sur son front et se mit aussitôt, courbé sur les rênes, à fouetter les chevaux. Ils partirent au galop, mais ne purent longtemps s’y maintenir, et se remirent au trot. Filofeï continuait à les cingler de son fouet. Il fallait tout de même se sauver !

     Je ne pouvais pas m’expliquer pourquoi, alors qu’au début je ne partageais pas les soupçons de Filofeï, je m’étais soudain persuadé qu’en effet, de mauvaises gens nous suivaient… Je n’avais rien entendu de nouveau : le même bruit de grelots, le même roulement de télègue à vide, les mêmes sifflements, le même brouhaha confus… Mais, à présent, je n’avais plus de doutes. Filofeï ne pouvait pas se tromper !

     Une vingtaine de minutes s’écoulèrent encore… au cours de ce temps, nous entendîmes déjà, à travers le bruit et le raffut que faisait notre voiture, le bruit et le raffut d’une autre…

     — Arrête-toi, Filofeï, dis-je : ça ne sert à rien !

     Filofeï fit craintivement : « Tprrr ! » Les chevaux s’arrêtèrent à l’instant, comme heureux de pouvoir se reposer.

     Mon Dieu ! Les grelots tintent déjà dans notre dos, la télègue émet un grondement de ferraille, les gens sifflent, crient et chantent, les chevaux s’ébrouent et battent le sol de leurs sabots…

     Nous sommes rejoints !

     — Ma-a-lheur ! murmura lentement Filofeï, qui se mit à exciter les chevaux d’un clappement des lèvres manquant de conviction. Au même moment, une chose hurlante surgit avec fracas – et une grande et large télègue, tirée par trois chevaux efflanqués, nous dépassa à toute allure, comme un tourbillon, galopa encore un peu, avant de se mettre tout de suite au pas, barrant la route.

     — Ça sent le brigand, chuchota Filofeï. 

     Je l’avoue, j’eus le cœur serré de peur… Je m’efforçai de regarder dans notre demi-obscurité, les vapeurs de la brume cachant à moitié la lune. Dans la télègue devant nous se trouvaient, aussi bien couché qu’assis, six hommes en chemises sous leurs armiaks25 déboutonnés ; deux d’entre eux ne portaient pas de chapka ; de grandes jambes bottées se balançaient hors de la voiture, pendant au-dehors, des mains se levaient pour rien, puis retombaient… les corps étaient secoués de tremblements… Clairement, ces gens étaient ivres. Certains braillaient ce qui leur passait par la tête ; l’un sifflait sur une note aiguë, un autre poussait des jurons ; assis à l’avant, une sorte de géant en pelisse courte conduisait. Ils allaient maintenant au pas, sans faire attention à nous, apparemment.

     Que faire ? Nous les suivîmes bon gré, mal gré, au pas également.

     Nous parcourûmes de la sorte un quart de verste. L’attente était un vrai supplice… Se sauver, se défendre… Pas moyen ! Ils étaient six et je n’avais même pas de bâton ! Faire demi-tour ? Ils nous auraient tout de suite rejoints. Je me souvins d’un vers de Joukovski26, où il évoque le meurtre du feld-maréchal Kamenski27 :


                                      La hache d’un vil brigand…


     Et sinon, une corde boueuse autour du cou, et hop ! dans le fossé… Tu peux râler et te débattre comme un lièvre pris au collet…

     Ah, ça sentait mauvais !

     Ils allaient toujours au pas, sans faire attention à nous.

     — Filofeï, chuchotai-je, essaye de prendre sur leur droite, en les longeant.

     Filofeï le tenta, mais les autres obliquèrent aussi à droite : impossible de passer. 

     Filofeï. essaya encore, par la gauche, cette fois… Mais là encore, ils ne lui permirent pas de les dépasser. Il y eut même des rires. Ils ne nous laissaient donc pas passer. 

     — Ce sont bien des brigands me chuchota Filofeï par-dessus son épaule.

     — Mais qu’attendent-ils ? chuchotai-je en réponse.

     — Plus loin, il y a un creux, avec un petit pont au-dessus d’un ruisseau… C’est là qu’ils nous feront notre affaire ! Ils font toujours comme ça… près des ponts. Pour nous, barine, les choses sont claires, ajouta-t-il en soupirant : ils ne nous laisseront pas la vie sauve ; parce que, pour eux, l’essentiel, c’est : ni vu ni connu. Une chose que je regrette, barine, c’est que ma troïka est fichue, elle ne reviendra jamais à mes frères.

     Je l’avoue, je pensais surtout à moi, autrement je me serais étonné de le voir se soucier de ses chevaux à cet instant… « Pourquoi me tueraient-ils ? me répétai-je : je leur donnerai tout ce que j’ai. »

     Nous approchions du pont, qui devenait de plus en plus visible.

     Soudain retentit un cri perçant, la troïka devant nous s’élança au galop et, ayant atteint le pont, s’arrêta d’un coup sur le côté de la route, clouée sur place. Mon cœur défaillait.

     — Ah, Filofeï, mon frère, dis-je, nous allons tous les deux à la mort. Pardonne-moi de t’avoir mené à ta perte.

     — Ce n’est pas de ta faute, barine ! On n’échappe pas à son destin ! Allez, l’Ebouriffé, mon fidèle cheval, dit-il à l’adresse du limonier, en avant, vieux frère ! Rends-moi ce dernier service ! C’est tout un… Bénis-nous, Seigneur !

     Et il lança au trot sa troïka.

     Nous approchâmes du petit pont et de l’autre télègue, immobile et menaçante… Comme à dessein, elle restait silencieuse. Pas un bruit ! Ainsi font le brochet, l’épervier, tous les carnassiers lorsque leur proie s’approche. Nous arrivâmes à la hauteur de la télègue… soudain, le géant portant une pelisse courte sauta à bas de la voiture et vint tout droit sur nous !

     Il ne dit rien à Filofeï, qui tira de lui-même sur les rênes… Le tarantass s’arrêta.

     Le géant posa ses deux mains sur le rebord et, penchant en avant sa tête hirsute avec un large sourire, prononça, d’une voix calme, égale, sur le ton qu’emploient les ouvriers d’usine, le discours suivant :

     — Cher monsieur, nous revenons d’un petit festin, d’une noce ; nous avons, voyez-vous, marié notre gaillard ; nous l’avons couché, quoi ; les gars sont jeunes et hardis, on a pas mal bu, et on n’a pas de quoi se dégriser28 ; si c’était un effet de votre bonté de nous donner deux-trois piécettes ? De quoi prendre pour chacun un petit quart ? On boirait à votre santé, on ferait grand cas de votre sagesse ; mais si cela vous dérange, ne le prenez pas mal !

     « Qu’est-ce que ça veut dire ? songeai-je… C’est de la raillerie ?… C’est par dérision ? »

     Le géant restait planté là, tête baissée. Au même moment, la lune émergea de la brume et éclaira son visage : ses yeux comme ses lèvres souriaient malicieusement. Nulle menace ne se lisait sur ce visage… il semblait juste attendre quelque chose… et il avait de grandes dents, si blanches…

     — Mais avec plaisir… tenez… m’empressai-je de dire, et, tirant ma bourse de ma poche, j’en sortis deux roubles-argent ( à cette époque, elles circulaient encore en Russie). Voilà, c’est suffisant ?

     — Merci bien ! vociféra en soldat le géant, et ses gros doigts saisirent en un éclair, non pas ma bourse tout entière, mais les deux roubles. Merci bien ! Il courut à la télègue en secouant sa chevelure.

     — Les gars ! cria-t-il, le monsieur en voyage nous gratifie de deux roubles ! Ils se mirent tous à brailler… Le géant se laissa retomber sur le siège, à l’avant de la télègue…

     — Bon voyage !

     Et ce fut tout ! Les chevaux emportèrent la télègue qui grimpa la côte en cliquetant, se découpa une dernière fois sur la ligne sombre séparant la terre du ciel, tomba dans l’obscurité et disparut.

     Bientôt, on n’entendit plus le bruit de ses roues, pas plus que les cris et les grelots…

     Un silence de mort s’installa.


—————————————————


     Filofeï et moi, nous mîmes un certain temps à reprendre nos esprits

     — En voilà un farceur ! dit-il enfin, et, ôtant son chapeau, il se mit à faire des signes de croix. Vraiment un farceur, ajouta-t-il en se tournant vers moi, tout joyeux. Mais ce doit être un brave homme – vraiment. Allons, les petits ! Remuez-vous ! Il ne vous arrivera rien, nous serons tous saufs ! C’est pourtant lui qui ne nous laissait pas passer ; il menait les chevaux. Un drôle de farceur, le gars ! Ho-ho-ho-hoo ! À la grâce de Dieu !

     Je me taisais, mais je me sentais bien mieux. « Nous voilà saufs ! me répétais-je en m’étendant sur le foin. Nous nous en sommes tirés à bon compte ! »

     J’eus même un peu honte de m’être souvenu du vers de Joukovski.

     Une pensée me vint soudain à l’esprit :

     — Filofeï !

     — Quoi ?

     — Tu es marié ?

     — Marié, oui.

     — Et tu as des enfants ?

     — Des enfants, oui.

     — Comment se fait-il que tu n’aies pas pensé à eux ? Tu regrettais, pour tes chevaux : et ta femme, tes enfants ?

     — Pourquoi les aurais-je plaints ? Ils n’étaient pas aux mains des voleurs. Mais ils sont toujours restés présents dans mon esprit. Même maintenant… Filofeï se tut un moment. C’est peut-être à cause d’eux que Dieu nous a épargnés, toi et moi.

     — Mais puisque ce n’étaient pas des brigands ?

     — Qu’est-ce qu’on en sait ? Peut-on rentrer dans l’âme d’autrui ? L’âme d’autrui, on sait bien que ce sont les ténèbres. Tandis qu’avec Dieu, ça va toujours mieux. Non, ma famille, j’y pense toujours… Ho-ho-ho, mes petits, à la grâce de Dieu !

     Le jour pointait presque lorsque nous arrivâmes à proximité de Toula. Couché, je somnolais…

     — Barine, me dit tout à coup Filofeï, regardez ; ils sont au cabaret… voilà leur télègue.

     Je levai la tête… En effet, c’étaient eux : je reconnus la voiture et les chevaux. Soudain, le géant à la demi-pelisse se montra sur le seuil du débit de boissons.

     — Monsieur ! s’exclama-t-il en agitant sa chapka, nous nous rinçons le gosier avec votre argent ! Alors, le cocher, ajouta-t-il en indiquant Filofeï de la tête, t’as eu la frousse, hein ?

     — Un joyeux luron ! observa Filofeï, une fois que nous fûmes à une vingtaine de sagènes29 du cabaret.

     Nous arrivâmes enfin à Toula ; j’achetai des plombs et, pendant que j’y étais, du thé, du vin, et même un cheval, que je trouvai chez le maquignon. À midi, nous prîmes le chemin du retour. En repassant à l’endroit où nous avions, pour la première fois, entendu derrière nous le bruit des roues de la télègue, Filofeï, qui avait bu un coup à Toula et se montrait fort bavard – il me racontait même des histoires –, se mit soudain à rire.

     — Tu te souviens, barine, comme je ne faisais que d'te dire : « Un bruit de roues !… Un bruit de roues ! Il y a un bruit de roues ! »

     Il agita la main à plusieurs reprises. Il semblait trouver l’expression très comique.

     Le soir même, nous étions revenus à son village.

     Je fis part à Iermolaï de ce qui nous était arrivé. Comme il n’avait rien bu, il ne manifesta aucun intérêt pour mon histoire, il se contenta de faire « hum ! » Était-ce un reproche ou une approbation, il ne le dit pas, et je crois que lui-même n’en savait rien. Mais deux jours plus tard, il se fit un plaisir de m’apprendre que, la nuit même où j’étais parti avec Filofeï pour Toula, et sur la même route, un marchand avait été détroussé et assassiné. Tout d’abord, je n’y crus pas ; mais il me fallut y ajouter foi peu après : le stanovoï30 qui s'était rendu en toute hâte sur les lieux pour l’enquête me confirma la véracité des faits. Nos joyeux drilles ne revenaient-ils pas de ce genre de « noce », et n’était-ce pas là le « gaillard qu’ils avaient couché », selon l’expression du géant farceur ? Je restai encore cinq jours au village de Filofeï. À chaque fois que je le rencontrais, je lui disais :

     — Alors ? Il y a un bruit de roues ?

     — En voilà un joyeux luron ! me répondait-il toujours, en se mettant à rire.


Notes


  1. Ce récit, le dernier du cycle, parut en juin 1874. Il est possible qu’il ait pour origine un épisode de la vie de l’auteur. Il semble avoir longtemps traîné dans la tête de Tourguéniev, qui l’a finalement couché sur le papier en France, après « La relique vivante ». En entendant la lecture du texte, l’année suivante, dans le salon de Pauline Viardot, l’écrivain Gleb Ouspenski ( https://blogs.mediapart.fr/m-tessier/blog/260218/le-poulet-la-vapeur-gleb-ouspenski ) en apprécia grandement le rythme…
  2. Iermolaï est le serf grand chasseur accompagnant souvent le narrateur.
  3. La livre russe (fount) faisait un peu plus de 400 grammes.
  4. https://fr.wikipedia.org/wiki/Toula  Les parties de chasse décrites par le narrateur ont lieu le plus souvent entre Toula et Orel. 
  5. La verste faisait presque 1,1 km.
  6. Un peu plus de seize kilos.
  7. Principal cheval de l’attelage. On lui mettra le pied dans l’argile humide pour aider sa blessure à cicatriser.
  8. Notamment, il échappe à la surveillance des barines (seigneurs, maîtres) et des autorités…
  9. C’est-à-dire non enfumée, où la fumée du poêle n’obscurcit pas et n’alourdit pas le logis. 
  10. Obscénité.
  11. Voiture hippomobile très simple.
  12. https://fr.wikipedia.org/wiki/Tarantass
  13. Sandales d’écorce ou d’aubier, souvent de tilleul.
  14. Philothée, « aimant Dieu ». Il y en a plus d’un. Par exemple : https://fr.wikipedia.org/wiki/Philoth%C3%A9e_de_Pskov
  15. Rappel : attelage de trois chevaux.
  16. Vingt-cinq kopecks contre trente, mais les premiers correspondent au rouble-argent, tandis que la monnaie de cuivre est indexée sur le rouble-assignat : les vingt-cinq kopecks-argent valent un rouble assignat (note trouvée chez Henri Mongault, plus ou moins vérifiée).
  17. Aussi bien É. Halpérine-Kaminsky que H. Mongault signalent que, pour le moujik de l’époque, ce prénom (d’origine grecque : Φιλόθεος) désignait un gars pas très malin. Henri Mongault parle même d’indécence, pour le peuple, du θ grec, qui existait dans l’alphabet russe avant la réforme de 1918, mais se prononçait déjà « f ». Il y a là un beau sujet de thèse…
  18. En espèces ou en dons en nature. Alors, il  n’a pas modifié le prénom, qui, en général, correspond au saint du jour…
  19. Chapeau en forme de cylindre, ou de cône tronqué.
  20. Les deux chevaux de renfort de la troïka.
  21. L’archine faisait 0,71 m.
  22. Arc de la limonière.
  23. Et non pas de la bâche, comme on trouve chez H. Mongault : un tarantass n’en a pas.
  24. Cliché des vieilles épopées populaires, les bylines.
  25. Manteau de paysan traditionnel, en laine grossière.
  26. https://fr.wikipedia.org/wiki/Vassili_Joukovski
  27. Mikhaïl Fédotovitch Kamenski (1738-1809), feld-maréchal russe pendant les guerres de Catherine II et de Napoléon. Maltraitant ses serfs, il fut tué par l’un d’entre eux.
  28. Il demande une petite goutte pour se remettre d’aplomb… Le quart évoqué après, c’est un quart de litre (de vodka).
  29. La sagène faisait trois archines, c’est-à-dire 2,13 m.
  30. Commissaire de police rurale, sous les  ordres du capitaine-ispravnik.